Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/248

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il arpentait le jardin, pareil à une gigantesque cigogne qui se fût promenée.

Bouvard, à la fenêtre, le vit tituber, puis s’abattre d’un bloc sur les haricots, dont les rames, en se fracassant, amortirent sa chute. On le ramassa couvert de terreau, les narines saignantes, livide, et il croyait s’être donné un effort.

Décidément la gymnastique ne convenait point à des hommes de leur âge ; ils l’abandonnèrent, n’osaient plus se mouvoir par crainte des accidents, et ils restaient tout le long du jour assis dans le muséum, à rêver d’autres occupations.

Ce changement d’habitudes influa sur la santé de Bouvard. Il devint très lourd, soufflait après ses repas comme un cachalot, voulut se faire maigrir, mangea moins, et s’affaiblit.

Pécuchet, également, se sentait « miné », avait des démangeaisons à la peau et des plaques dans la gorge.

— Ça ne va pas, disait-il, ça ne va pas.

Bouvard imagina d’aller choisir à l’auberge quelques bouteilles de vin d’Espagne, afin de se remonter la machine.

Comme il en sortait, le clerc de Marescot et trois hommes apportaient à Beljambe une grande table de noyer ; « Monsieur » l’en remerciait beaucoup. Elle s’était parfaitement conduite.

Bouvard connut ainsi la mode nouvelle des tables tournantes. Il en plaisanta le clerc.

Cependant, par toute l’Europe, en Amérique, en Australie et dans les Indes, des millions de mortels passaient leur vie à faire tourner des tables, et on découvrait la manière de rendre les serins prophètes, de donner des concerts sans instruments,