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Car le lendemain à six heures un valet de charrue vint leur dire qu’on les réclamait à la ferme, pour une vache désespérée.

Ils y coururent.

Les pommiers étaient en fleurs et l’herbe, dans la cour, fumait sous le soleil levant. Au bord de la mare, à demi couverte d’un drap, une vache beuglait, grelottante des seaux d’eau qu’on lui jetait sur le corps, et, démesurément gonflée, elle ressemblait à un hippopotame.

Sans doute, elle avait pris du « venin » en pâturant dans les trèfles. Le père et la mère Gouy se désolaient, car le vétérinaire ne pouvait venir, et un charron qui savait des mots contre l’enflure ne voulait pas se déranger ; mais ces messieurs dont la bibliothèque était célèbre, devaient connaître un secret.

Ayant retroussé leurs manches, ils se placèrent l’un devant les cornes, l’autre à la croupe, et, avec de grands efforts intérieurs et une gesticulation frénétique, ils écartaient les doigts pour épandre sur l’animal des ruisseaux de fluide, tandis que le fermier, son épouse, leur garçon et des voisins, les regardaient presque effrayés.

Les gargouillements que l’on entendait dans le ventre de la vache provoquèrent des borborygmes au fond de ses entrailles. Elle émit un vent. Pécuchet dit alors :

— C’est une porte ouverte à l’espérance, un débouché, peut-être.

Le débouché s’opéra, l’espérance jaillit dans un paquet de matières jaunes éclatant avec la force d’un obus. Les cuirs se desserrèrent, la vache dégonfla ; une heure après il n’y paraissait plus.