Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/27

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Oh ! très bon, très bon ! et le gros pain difficile à couper, la crème, les noix, tout les délecta. Le carrelage avait des trous, les murs suintaient. Cependant ils promenaient autour d’eux un regard de satisfaction, en mangeant sur la petite table où brûlait une chandelle. Leurs figures étaient rougies par le grand air. Ils tendaient leur ventre ; ils s’appuyaient sur le dossier de leur chaise, qui en craquait, et ils se répétaient :

— Nous y voilà donc ! quel bonheur ! il me semble que c’est un rêve !

Bien qu’il fût minuit, Pécuchet eut l’idée de faire un tour dans le jardin. Bouvard ne s’y refusa pas. Ils prirent la chandelle et, l’abritant avec un vieux journal, se promenèrent le long des plates-bandes. Ils avaient plaisir à nommer tout haut les légumes :

— Tiens, des carottes ! Ah ! des choux !

Ensuite ils inspectèrent les espaliers. Pécuchet tâcha de découvrir des bourgeons. Quelquefois une araignée fuyait tout à coup sur le mur, et les deux ombres de leur corps s’y dessinaient agrandies, en répétant leurs gestes. Les pointes des herbes dégouttelaient de rosée. La nuit était complètement noire, et tout se tenait immobile dans un grand silence, une grande douceur. Au loin un coq chanta.

Leurs deux chambres avaient entre elles une petite porte que le papier de la tenture masquait. En la heurtant avec une commode, on venait d’en faire sauter les clous. Ils la trouvèrent béante. Ce fut une surprise.

Déshabillés et dans leur lit, ils bavardèrent quelque temps, puis s’endormirent, Bouvard sur