Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/285

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quand leur éclat nous arrive, nous admirons, peut-être, des choses qui n’existent pas.

Ayant retrouvé au fond d’un gilet une cigarette Raspail, ils l’émiettèrent sur de l’eau et le camphre tourna.

Voilà donc le mouvement dans la matière ! un degré supérieur du mouvement amènerait la vie.

Mais si la matière en mouvement suffisait à créer les êtres, ils ne seraient pas si variés. Car il n’existait, à l’origine, ni terres, ni eaux, ni hommes, ni plantes. Qu’est donc cette matière primordiale, qu’on n’a jamais vue, qui n’est rien des choses du monde, et qui les a toutes produites ?

Quelquefois ils avaient besoin d’un livre. Dumouchel, fatigué de les servir, ne leur répondait plus, et ils s’acharnaient à la question, principalement Pécuchet.

Son besoin de vérité devenait une soif ardente.

Ému des discours de Bouvard, il lâchait le spiritualisme, le reprenait bientôt pour le quitter, et s’écriait, la tête dans les mains :

— Oh ! le doute ! le doute ! j’aimerais mieux le néant !

Bouvard apercevait l’insuffisance du matérialisme et tâchait de s’y retenir, déclarant, du reste, qu’il en perdait la boule.

Ils commençaient des raisonnements sur une base solide ; elle croulait ; et tout à coup plus d’idée ; comme une mouche s’envole, dès qu’on veut la saisir.

Pendant les soirs d’hiver, ils causaient dans le muséum, au coin du feu, en regardant les charbons. Le vent qui sifflait dans le corridor faisait trembler les carreaux, les masses noires des arbres