Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/328

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et Pécuchet ne quittait plus M. Jeufroy. Il le surprenait dans son jardin, l’attendait au confessionnal, le relançait dans la sacristie.

Le prêtre imaginait des ruses pour le fuir.

Un jour, qu’il était parti à Sassetot administrer quelqu’un, Pécuchet se porta au-devant de lui sur la route, manière de rendre la conversation inévitable.

C’était le soir, vers la fin d’août. Le ciel écarlate se rembrunit, et un gros nuage s’y forma, régulier dans le bas, avec des volutes au sommet.

Pécuchet, d’abord, parla de choses indifférentes ; puis, ayant glissé le mot martyr :

— Combien pensez-vous qu’il y en ait eu ?

— Une vingtaine de millions, pour le moins.

— Leur nombre n’est pas si grand, dit Origène.

— Origène, vous savez, est suspect !

Un large coup de vent passa, inclinant l’herbe des fossés, et les deux rangs d’ormeaux jusqu’au bout de l’horizon.

Pécuchet reprit :

— On classe, dans les martyrs, beaucoup d’évêques gaulois, tués en résistant aux Barbares, ce qui n’est plus la question.

— Allez-vous défendre les empereurs ?

Suivant Pécuchet, on les avait calomniés.

L’histoire de la légion thébaine est une fable. Je conteste également Symphorose et ses sept fils, Félicité et ses sept filles, et les sept vierges d’Ancyre, condamnées au viol, bien que septuagénaires, et les onze mille vierges de sainte Ursule, dont une compagne s’appelait Undecemilla, un nom pris pour un chiffre ; encore plus les dix martyrs d’Alexandrie !