Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/33

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dans l’avenir des montagnes de fruits, des débordements de fleurs, des avalanches de légumes. Mais le fumier de cheval si utile pour les couches lui manquait. Les cultivateurs n’en vendaient pas : les aubergistes en refusèrent. Enfin, après beaucoup de recherches, malgré les instances de Bouvard, et abjurant toute pudeur, il prit le parti « d’aller lui-même au crottin ! ».

C’est au milieu de cette occupation que Mme Bordin, un jour, l’accosta sur la grande route. Quand elle l’eut complimenté, elle s’informa de son ami. Les yeux noirs de cette personne, très brillants bien que petits, ses hautes couleurs, son aplomb (elle avait même un peu de moustache), intimidèrent Pécuchet. Il répondit brièvement et tourna le dos. Impolitesse que blâma Bouvard.

Puis les mauvais jours survinrent, la neige, les grands froids. Ils s’installèrent dans la cuisine, et faisaient du treillage ; ou bien parcouraient les chambres, causaient au coin du feu, regardaient la pluie tomber.

Dès la mi-carême, ils guettèrent le printemps, et répétaient chaque matin : « Tout part ! » Mais la saison fut tardive, et ils consolaient leur impatience, en disant : « Tout va partir ».

Ils virent enfin lever les petits pois. Les asperges donnèrent beaucoup. La vigne promettait.

Puisqu’ils s’entendaient au jardinage, ils devaient réussir dans l’agriculture ; et l’ambition les prit de cultiver leur ferme. Avec du bon sens et de l’étude ils s’en tireraient, sans aucun doute.

D’abord, il fallait voir comment on opérait chez les autres ; et ils rédigèrent une lettre, où ils demandaient à M. de Faverges l’honneur de visiter