Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/348

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Victor, comme un soldat, s’était mis son bagage sur le dos. Il sifflait, jetait des pierres aux corneilles dans les sillons, allait sous les arbres pour se couper des badines. Foureau le rappela ; et Bouvard, en le retenant par la main, jouissait de sentir dans la sienne ces doigts d’enfant robustes et vigoureux. Le pauvre petit diable ne demandait qu’à se développer librement, comme une fleur en plein air ! et il pourrirait entre des murs, avec des leçons, des punitions, un tas de bêtises ! Bouvard fut saisi par une révolte de la pitié, une indignation contre le sort, une de ces rages où l’on veut détruire le gouvernement.

— Galope ! dit-il, amuse-toi ! jouis de ton reste !

Le gamin s’échappa.

Sa sœur et lui coucheraient à l’auberge, et, dès l’aube, le messager de Falaise prendrait Victor pour le descendre au pénitencier de Beaubourg ; une religieuse de l’orphelinat de Grand-Camp emmènerait Victorine.

Foureau, ayant donné ces détails, se replongea dans ses pensées. Mais Bouvard voulut savoir combien pouvait coûter l’entretien des deux mioches.

— Bah… L’affaire, peut-être, de trois cents francs ! Le comte m’en a remis vingt-cinq pour les premiers débours ! Quel pingre !

Et gardant sur le cœur le mépris de son écharpe, Foureau hâtait le pas silencieusement.

Bouvard murmura :

— Ils me font de la peine. Je m’en chargerais bien !

— Moi aussi, dit Pécuchet, la même idée leur étant venue.