Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/403

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« Dans une quinzaine, je m’en retourne vers ma cabane, où je vais me mettre à écrire mes deux copistes. La semaine prochaine, j’irai à Clamart ouvrir des cadavres. Oui ! Madame, voilà jusqu’où m’entraîne l’amour de la littérature. » (Lettre à Mme Roger des Genettes, Correspondance, IV, p. 206.)

Dans le courant de l’été 1874, Flaubert écrit à George Sand qu’au cours d’un petit voyage en basse Normandie, il a découvert « sur un plateau stupide » un endroit propice à loger ses deux bonshommes, « entre la vallée de l’Orne et la vallée d’Auge. J’aurai besoin d’y retourner plusieurs fois. Dès le mois de septembre, je vais donc commencer cette rude besogne. Elle me fait peur, et j’en suis d’avance écrasé ». Au mois de juillet, Flaubert, pris de syncopes d’étouffements, est envoyé au Righi, où il ne reste que trois semaines, et dès sa rentrée il écrit à Edmond de Goncourt : « À mon retour ici, j’ai enfin commencé mon roman, lequel va me demander trois ou quatre ans. J’ai cru d’abord que je ne pouvais plus écrire une ligne. Le début a été dur. Mais enfin, j’y suis, ça marche, ou du moins ça va mieux. » Le 2 décembre, il écrit à George Sand : « Dans un mois j’espère en avoir fini avec l’agriculture et le jardinage, et je ne serai qu’aux deux tiers de mon premier chapitre. » Mais ici commence pour Flaubert, en raison de son caractère loyal et orgueilleux, les angoisses morales les plus pénibles qui précipiteront sa fin. Pour sauver son neveu de la ruine, il lui a prêté sa fortune, et le labeur écrasant de Bouvard, mêlé aux inquiétudes financières, semble avoir raison du bon géant. « Il se passe dans mon individu des choses anormales. Mon affaissement psychique doit tenir à quelque chose de caché. Je me sens vieux, usé, écœuré de tout ; » écrit-il, en mai 1875, à George Sand. L’écriture de Bouvard avance péniblement. « Je veux avancer dans ma besogne, laquelle me pèse comme un poids de 500 kilogrammes. » (Lettre à George Sand.) Le premier chapitre n’est pas achevé, et pourtant l’écriture de Bouvard et Pécuchet sera interrompue : les soucis financiers se précisent, et la fortune de Flaubert est engloutie dans la liquidation de son neveu. « Mon existence est maintenant bouleversée ; j’aurai toujours de quoi vivre, mais dans d’autres conditions. Quant à la littérature, je suis incapable d’aucun travail. Depuis bientôt quatre mois (que nous sommes dans des angoisses infernales), j’ai écrit en tout quatorze pages, et mauvaises ! Ma pauvre cervelle ne résistera pas à un pareil coup. Voilà ce qui me paraît le plus clair. Comme j’ai besoin de sortir du milieu où j’agonise, dès le commencement de septembre, je m’en irai à Concarneau, près de Georges Pouchet, qui travaille là-bas les poissons. J’y resterai le plus longtemps possible… La vie n’est pas drôle, et je commence une lugubre vieillesse. » (Lettre à Émile Zola, 13 août 1875, Correspondance, IV, p. 239.) En effet, vers le 18 sep-