Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/41

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aux marcottages. Il essaya plusieurs sortes de greffes, greffes en flûte, en couronne, en écusson, greffe herbacée, greffe anglaise. Avec quel soin il ajustait les deux libers ! comme il serrait les ligatures ! Quel amas d’onguent pour les recouvrir !

Deux fois par jour, il prenait son arrosoir et le balançait sur les plantes, comme s’il les eût encensées. À mesure qu’elles verdissaient sous l’eau qui tombait en pluie fine, il lui semblait se désaltérer et renaître avec elles. Puis, cédant à une ivresse, il arrachait la pomme de l’arrosoir et versait à plein goulot, copieusement.

Au bout de la charmille, près de la dame en plâtre, s’élevait une manière de cahute faite en rondins. Pécuchet y enfermait ses instruments, et il passait là des heures délicieuses à éplucher les graines, à écrire les étiquettes, à mettre en ordre ses petits pots. Pour se reposer, il s’asseyait devant la porte, sur une caisse, et alors projetait des embellissements.

Il avait créé au bas du perron deux corbeilles de géraniums ; entre les cyprès et les quenouilles, il planta des tournesols ; et comme les plates-bandes étaient couvertes de boutons d’or, et toutes les allées de sable neuf, le jardin éblouissait par une abondance de couleurs jaunes.

Mais la couche fourmilla de larves ; malgré les réchauds de feuilles mortes, sous les châssis peints et sous les cloches barbouillées, il ne poussa que des végétations rachitiques. Les boutures ne reprirent pas, les greffes se décollèrent, la sève des marcottes s’arrêta, les arbres avaient le blanc dans leurs racines ; les semis furent une désolation. Le vent s’amusait à jeter bas les rames des haricots.