Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/6

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dans des tuyaux de lasting, manquaient de proportion avec la longueur du buste, et il avait une voix forte, caverneuse.

Cette exclamation lui échappa :

— Comme on serait bien à la campagne !

Mais la banlieue, selon Bouvard, était assommante par le tapage des guinguettes. Pécuchet pensait de même. Il commençait néanmoins à se sentir fatigué de la capitale, Bouvard aussi.

Et leurs yeux erraient sur des tas de pierres à bâtir, sur l’eau hideuse où une botte de paille flottait, sur la cheminée d’une usine se dressant à l’horizon ; des miasmes d’égout s’exhalaient. Ils se tournèrent de l’autre côté. Alors ils eurent devant eux les murs du Grenier d’abondance.

Décidément (et Pécuchet en était surpris) on avait encore plus chaud dans les rues que chez soi !

Bouvard l’engagea à mettre bas sa redingote. Lui, il se moquait du qu’en-dira-t-on !

Tout à coup un ivrogne traversa en zigzag le trottoir ; et, à propos des ouvriers, ils entamèrent une conversation politique. Leurs opinions étaient les mêmes, bien que Bouvard fût peut-être plus libéral.

Un bruit de ferrailles sonna sur le pavé dans un tourbillon de poussière : c’étaient trois calèches de remise qui s’en allaient vers Bercy, promenant une mariée avec son bouquet, des bourgeois en cravate blanche, des dames enfouies jusqu’aux aisselles dans leur jupon, deux ou trois petites filles, un collégien. La vue de cette noce amena Bouvard et Pécuchet à parler des femmes, qu’ils déclarèrent frivoles, acariâtres, têtues. Malgré cela, elles étaient souvent meilleures que les hommes ;