Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avec de petits paquets qu’il enfermait dans sa commode. Pécuchet partit un matin pour se rendre à Bretteville, et rentra fort tard, avec un panier qu’il cacha sous son lit.

Le lendemain, à son réveil, Bouvard fut surpris. Les deux premiers ifs de la grande allée, qui, la veille encore, étaient sphériques, avaient la forme de paons, et un cornet avec deux boutons de porcelaine figuraient le bec et les yeux. Pécuchet s’était levé dès l’aube, et, tremblant d’être découvert, il avait taillé les deux arbres à la mesure des appendices expédiés par Dumouchel.

Depuis six mois, les autres derrière ceux-là imitaient plus ou moins des pyramides, des cubes, des cylindres, des cerfs ou des fauteuils, mais rien n’égalait les paons. Bouvard le reconnut avec de grands éloges.

Sous prétexte d’avoir oublié sa bêche, il entraîna son compagnon dans le labyrinthe, car il avait profité de l’absence de Pécuchet pour faire, lui aussi, quelque chose de sublime.

La porte des champs était recouverte d’une couche de plâtre, sur laquelle s’alignaient en bel ordre cinq cents fourneaux de pipes, représentant des Abd-el-Kader, des nègres, des femmes nues, des pieds de cheval et des têtes de mort.

— Comprends-tu mon impatience ?

— Je crois bien !

Et, dans leur émotion, ils s’embrassèrent.

Comme tous les artistes, ils eurent le besoin d’être applaudis, et Bouvard songea à offrir un grand dîner.

— Prends garde ! dit Pécuchet, tu vas te lancer dans les réceptions. C’est un gouffre !