Page:Flaubert - Bouvard et Pécuchet, éd. Conard, 1910.djvu/68

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prunes à l’eau-de-vie, et fit encore trois tours dans la grande allée ; mais, en passant près du tilleul, le bas de sa robe s’accrocha, et ils l’entendirent qui murmurait :

— Mon Dieu ! quelle bêtise que cet arbre !

Jusqu’à minuit, les amphitryons, sous la tonnelle, exhalèrent leur ressentiment.

Sans doute, on pouvait reprendre dans le dîner deux ou trois petites choses par-ci par-là ; et cependant les convives s’étaient gorgés comme des ogres, preuve qu’il n’était pas si mauvais. Mais pour le jardin, tant de dénigrement provenait de la plus noire jalousie ; et s’échauffant tous les deux :

— Ah ! l’eau manque dans le bassin ! Patience, on y verra jusqu’à un cygne et des poissons !

— À peine s’ils ont remarqué la pagode !

— Prétendre que les ruines ne sont pas propres est une opinion d’imbécile !

— Et le tombeau une inconvenance ! Pourquoi inconvenance ? Est-ce qu’on n’a pas le droit d’en construire un dans son domaine ? Je veux même m’y faire enterrer !

— Ne parle pas de ça ! dit Pécuchet.

Puis ils passèrent en revue les convives.

— Le médecin m’a l’air d’un joli poseur !

— As-tu observé le ricanement de Marescot devant le portrait ?

— Quel goujat que M. le maire ! Quand on dîne dans une maison, que diable ! on respecte les curiosités.

Mme Bordin ? dit Bouvard.

— Eh ! c’est une intrigante ! Laisse-moi tranquille.