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Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/132

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Le lendemain de son arrivée, après leur déjeuner, Mme Moreau emmena son fils dans le jardin.

Elle se dit heureuse de lui voir un état, car ils n’étaient pas aussi riches que l’on croyait ; la terre rapportait peu ; les fermiers payaient mal ; elle avait même été contrainte de vendre sa voiture. Enfin, elle lui exposa leur situation.

Dans les premiers embarras de son veuvage, un homme astucieux, M. Roque, lui avait fait des prêts d’argent, renouvelés, prolongés malgré elle. Il était venu les réclamer tout à coup ; et elle avait passé par ses conditions, en lui cédant à un prix dérisoire la ferme de Presles. Dix ans plus tard, son capital disparaissait dans la faillite d’un banquier, à Melun. Par horreur des hypothèques et pour conserver des apparences utiles à l’avenir de son fils, comme le père Roque se présentait de nouveau, elle l’avait écouté encore une fois. Mais elle était quitte, maintenant. Bref, il leur restait environ dix mille francs de rente, dont deux mille trois cents à lui, tout son patrimoine !

— Ce n’est pas possible ! s’écria Frédéric.

Elle eut un mouvement de tête signifiant que cela était très possible.

Mais son oncle lui laisserait quelque chose ?

Rien n’était moins sûr !

Et ils firent un tour de jardin, sans parler. Enfin elle l’attira contre son cœur, et, d’une voix que les larmes étouffaient :

— Ah ! mon pauvre garçon ! Il m’a fallu abandonner bien des rêves !

Il s’assit sur le banc, à l’ombre du grand acacia.

Ce qu’elle lui conseillait, c’était de se mettre clerc chez M. Prouharam, avoué, lequel lui cé-