Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans son pays que dans un autre, il pourrait plus facilement y trouver des partis avantageux.

— Ah ! c’est trop fort ! s’écria Frédéric.

À peine avait-il son bonheur entre les mains qu’on voulait le lui prendre. Il signifia sa résolution formelle d’habiter Paris.

— Pour quoi y faire ?

— Rien !

Mme  Moreau, surprise de ses façons, lui demanda ce qu’il voulait devenir.

— Ministre ! répliqua Frédéric.

Et il affirma qu’il ne plaisantait nullement, qu’il prétendait se lancer dans la diplomatie, que ses études et ses instincts l’y poussaient. Il entrerait d’abord au Conseil d’État, avec la protection de M. Dambreuse.

— Tu le connais donc ?

— Mais oui ! par M. Roque !

— Cela est singulier, dit Mme  Moreau.

Il avait réveillé dans son cœur ses vieux rêves d’ambition. Elle s’y abandonna intérieurement, et ne reparla plus des autres.

S’il eût écouté son impatience, Frédéric fût parti à l’instant même. Le lendemain, toutes les places dans les diligences étaient retenues ; il se rongea jusqu’au surlendemain, à sept heures du soir.

Ils s’asseyaient pour dîner, quand tintèrent à l’église trois longs coups de cloche ; et la domestique, entrant, annonça que Mme  Eléonore venait de mourir.

Cette mort, après tout, n’était un malheur pour personne, pas même pour son enfant. La jeune fille ne s’en trouverait que mieux, plus tard.