Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/160

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si longtemps sans leur écrire, ce qu’il avait pu faire là-bas, ce qui le ramenait.

— Moi, à présent, cher ami, je suis marchand de faïences. Mais causons de vous !

Frédéric allégua un long procès, la santé de sa mère ; il insista beaucoup là-dessus, afin de se rendre intéressant. Bref, il se fixait à Paris, définitivement cette fois ; et il ne dit rien de l’héritage, dans la peur de nuire à son passé.

Les rideaux, comme les meubles, étaient en damas de laine marron ; deux oreillers se touchaient contre le traversin ; une bouillotte chauffait dans les charbons ; et l’abat-jour de la lampe posée au bord de la commode assombrissait l’appartement. Mme  Arnoux avait une robe de chambre en mérinos gros bleu. Le regard tourné vers les cendres et une main sur l’épaule du petit garçon, elle défaisait, de l’autre, le lacet de la brassière ; le mioche en chemise pleurait tout en se grattant la tête, comme M. Alexandre fils.

Frédéric s’était attendu à des spasmes de joie ; mais les passions s’étiolent quand on les dépayse, et, ne retrouvant plus Mme  Arnoux dans le milieu où il l’avait connue, elle lui semblait avoir perdu quelque chose, porter confusément comme une dégradation, enfin n’être pas la même. Le calme de son cœur le stupéfiait. Il s’informa des anciens amis, de Pellerin, entre autres.

— Je ne le vois pas souvent, dit Arnoux.

Elle ajouta :

— Nous ne recevons plus, comme autrefois !

Était-ce pour l’avertir qu’on ne lui ferait aucune invitation ? Mais Arnoux, poursuivant ses cordialités, lui reprocha de n’être pas venu dîner avec