Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/203

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— J’ai lu dans la Mode, dit Cisy, qu’à la Saint-Ferdinand, au bal des Tuileries, tout le monde était déguisé en chicards.

— Si ce n’est pas pitoyable ! fit le socialiste, en haussant de dégoût les épaules.

— Et le musée de Versailles ! s’écria Pellerin. Parlons-en ! Ces imbéciles-là ont raccourci un Delacroix et rallongé un Gros ! Au Louvre, on a si bien restauré, gratté et tripoté toutes les toiles, que, dans dix ans, peut-être pas une ne restera. Quant aux erreurs du catalogue, un Allemand a écrit dessus tout un livre. Les étrangers, ma parole, se fichent de nous !

— Oui, nous sommes la risée de l’Europe, dit Sénécal.

— C’est parce que l’Art est inféodé à la Couronne.

— Tant que vous n’aurez pas le suffrage universel…

— Permettez ! car l’artiste, refusé depuis vingt ans à tous les Salons, était furieux contre le Pouvoir. — Eh ! qu’on nous laisse tranquilles. Moi, je ne demande rien ! seulement les Chambres devraient statuer sur les intérêts de l’Art. Il faudrait établir une chaire d’esthétique, et dont le professeur, un homme à la fois praticien et philosophe, parviendrait, j’espère, à grouper la multitude. Vous feriez bien, Hussonnet, de toucher un mot de ça dans votre journal ?

— Est-ce que les journaux sont libres ? est-ce que nous le sommes ? dit Deslauriers avec emportement. Quand on pense qu’il peut y avoir jusqu’à vingt-huit formalités pour établir un batelet sur une rivière, ça me donne envie d’aller vivre chez