Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/207

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chambre, et, tirant de son secrétaire deux mille francs :

— Tiens, mon brave, empoche ! C’est le reliquat de mes vieilles dettes.

— Mais… et le Journal ? dit l’avocat. J’en ai parlé à Hussonnet, tu sais bien.

Et, Frédéric ayant répondu qu’il se trouvait « un peu gêné, maintenant », l’autre eut un mauvais sourire.

Après les liqueurs, on but de la bière ; après la bière, des grogs ; on refuma des pipes. Enfin, à cinq heures du soir, tous s’en allèrent ; et ils marchaient les uns près des autres, sans parler, quand Dussardier se mit à dire que Frédéric les avait reçus parfaitement. Tous en convinrent.

Hussonnet déclara son déjeuner un peu trop lourd. Sénécal critiqua la futilité de son intérieur. Cisy pensait de même. Cela manquait de « cachet », absolument.

— Moi, je trouve, dit Pellerin, qu’il aurait bien pu me commander un tableau.

Deslauriers se taisait, en tenant dans la poche de son pantalon ses billets de banque.

Frédéric était resté seul. Il pensait à ses amis, et sentait entre eux et lui comme un grand fossé plein d’ombre qui les séparait. Il leur avait tendu la main cependant, et ils n’avaient pas répondu à la franchise de son cœur.

Il se rappela les mots de Pellerin et de Dussardier sur Arnoux. C’était une invention, une calomnie sans doute ? Mais pourquoi ? Et il aperçut Mme  Arnoux, ruinée, pleurant, vendant ses meubles. Cette idée le tourmenta toute la nuit ; le lendemain, il se présenta chez elle.