Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/280

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de fumer sa pipe lui demanda s’il cherchait quelque chose. Celui-là connaissait la manufacture d’Arnoux. Elle était située à Montataire.

Frédéric s’enquit d’une voiture. On n’en trouvait qu’à la gare. Il y retourna. Une calèche disloquée, attelée d’un vieux cheval dont les harnais décousus pendaient dans les brancards, stationnait devant le bureau des bagages, solitairement.

Un gamin s’offrit à découvrir « le père Pilon ». Il revint au bout de dix minutes ; le père Pilon déjeunait. Frédéric, n’y tenant plus, partit. Mais la barrière du passage était close. Il fallut attendre que deux convois eussent défilé. Enfin il se précipita dans la campagne.

La verdure monotone la faisait ressembler à un immense tapis de billard. Des scories de fer étaient rangées, sur les deux bords de la route, comme des mètres de cailloux. Un peu plus loin, des cheminées d’usine fumaient les unes près des autres. En face de lui se dressait, sur une colline ronde, un petit château à tourelles, avec le clocher quadrangulaire d’une église. De longs murs, en dessous, formaient des lignes irrégulières parmi les arbres ; et, tout en bas, les maisons du village s’étendaient.

Elles sont à un seul étage, avec des escaliers de trois marches, faites de blocs sans ciment. On entendait, par intervalles, la sonnette d’un épicier. Des pas lourds s’enfonçaient dans la boue noire, et une pluie fine tombait, coupant de mille hachures le ciel pâle.

Frédéric suivit le milieu du pavé ; puis il rencontra sur sa gauche, à l’entrée d’un chemin, un