Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/303

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des fiacres ; des sourires de dénigrement répondaient aux ports de tête orgueilleux ; des bouches grandes ouvertes exprimaient des admirations imbéciles ; et, çà et là, quelque flâneur, au milieu de la voie, se rejetait en arrière d’un bond pour éviter un cavalier qui galopait entre les voitures et parvenait à en sortir. Puis tout se remettait en mouvement ; les cochers lâchaient les rênes, abaissaient leurs longs fouets ; les chevaux, animés, secouant leur gourmette, jetaient de l’écume autour d’eux ; et les croupes et les harnais humides fumaient, dans la vapeur d’eau que le soleil couchant traversait. Passant sous l’Arc de triomphe, il allongeait à hauteur d’homme une lumière roussâtre, qui faisait étinceler les moyeux des roues, les poignées des portières, le bout des timons, les anneaux des sellettes ; et, sur les deux côtés de la grande avenue, pareille à un fleuve où ondulaient des crinières, des vêtements, des têtes humaines, les arbres tout reluisants de pluie se dressaient, comme deux murailles vertes. Le bleu du ciel, au-dessus, reparaissant à de certaines places, avait des douceurs de satin.

Alors, Frédéric se rappela les jours déjà loin où il enviait l’inexprimable bonheur de se trouver dans une de ces voitures, à côté d’une de ces femmes. Il le possédait, ce bonheur-là, et il n’en était pas plus joyeux.

La pluie avait fini de tomber. Les passants, réfugiés entre les colonnes du Garde-Meubles, s’en allaient. Des promeneurs, dans la rue Royale, remontaient vers le boulevard. Devant l’hôtel des Affaires Étrangères, une file de badauds stationnait sur les marches.