Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/322

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— Ce n’est pas vrai

Frédéric se mit à défendre Arnoux. Il garantissait sa probité, finissait par y croire, inventait des chiffres, des preuves. Le vicomte, plein de rancune, et qui était gris d’ailleurs, s’entêta dans ses assertions, si bien que Frédéric lui dit gravement :

— Est-ce pour m’offenser, monsieur ?

Et il le regardait, avec des prunelles ardentes comme son cigare.

— Oh ! pas du tout ! je vous accorde même qu’il a quelque chose de très bien : sa femme.

— Vous la connaissez ?

— Parbleu ! Sophie Arnoux, tout le monde connaît ça !

— Vous dites ?

Cisy, qui s’était levé, répéta en balbutiant :

— Tout le monde connaît ça !

— Taisez-vous ! Ce ne sont pas celles-là que vous fréquentez !

— Je m’en flatte !

Frédéric lui lança son assiette au visage.

Elle passa comme un éclair par-dessus la table, renversa deux bouteilles, démolit un compotier, et, se brisant contre le surtout en trois morceaux, frappa le ventre du vicomte.

Tous se levèrent pour le retenir. Il se débattait, en criant, pris d’une sorte de frénésie ; M. des Aulnays répétait :

— Calmez-vous ! voyons ! cher enfant !

— Mais c’est épouvantable ! vociférait le précepteur.

Forchambeaux, livide comme les prunes, tremblait ; Joseph riait aux éclats ; les garçons