Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/346

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cieuse l’enveloppait. Il se sentait comme perdu dans un désert. Mais la voix de Martinon s’éleva :

— À propos d’Arnoux, j’ai lu parmi les prévenus des bombes incendiaires, le nom d’un de ses employés. Sénécal. Est-ce le nôtre ?

— Lui-même, dit Frédéric.

Martinon répéta, en criant très haut :

— Comment, notre Sénécal ! notre Sénécal !

Alors, on le questionna sur le complot ; sa place d’attaché au parquet devait lui fournir des renseignements.

Il confessa n’en pas avoir. Du reste, il connaissait fort peu le personnage, l’ayant vu deux ou trois fois seulement, et le tenait en définitive pour un assez mauvais drôle. Frédéric, indigné, s’écria :

— Pas du tout ! c’est un très honnête garçon !

— Cependant, monsieur, dit un propriétaire, on n’est pas honnête quand on conspire !

La plupart des hommes qui étaient là avaient servi, au moins, quatre gouvernements ; et ils auraient vendu la France ou le genre humain, pour garantir leur fortune, s’épargner un malaise, un embarras, ou même par simple bassesse, adoration instinctive de la force. Tous déclarèrent les crimes politiques inexcusables. Il fallait plutôt pardonner à ceux qui provenaient du besoin ! Et on ne manqua pas de mettre en avant l’éternel exemple du père de famille, volant l’éternel morceau de pain chez l’éternel boulanger.

Un administrateur s’écria même :

— Moi, monsieur, si j’apprenais que mon frère conspire, je le dénoncerais !