Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/361

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ces souvenirs, sans doute, avaient peu de charme pour Mlle  Roque ; elle ne trouva rien à répondre ; et une minute après :

— Méchant ! qui ne m’a pas donné une seule fois de ses nouvelles !

Frédéric objecta ses nombreux travaux.

— Qu’est-ce donc que vous faites ?

Il fut embarrassé de la question, puis dit qu’il étudiait la politique.

— Ah !

Et, sans en demander davantage :

— Cela vous occupe, mais moi !…

Alors, elle lui conta l’aridité de son existence, n’ayant personne à voir, pas le moindre plaisir, la moindre distraction ! Elle désirait monter à cheval.

— Le Vicaire prétend que c’est inconvenant pour une jeune fille ; est-ce bête, les convenances ! Autrefois, on me laissait faire tout ce que je voulais ; à présent, rien !

— Votre père vous aime, pourtant !

— Oui ; mais…

Et elle poussa un soupir, qui signifiait : « Cela ne suffit pas à mon bonheur. »

Puis, il y eut un silence. Ils n’entendaient que le craquement du sable sous leurs pieds avec le murmure de la chute d’eau ; car la Seine, au-dessus de Nogent, est coupée en deux bras. Celui qui fait tourner les moulins dégorge en cet endroit la surabondance de ses ondes, pour rejoindre plus bas le cours naturel du fleuve ; et, lorsqu’on vient des ponts, on aperçoit, à droite sur l’autre berge, un talus de gazon que domine une maison blanche. À gauche, dans la prairie, des peupliers