Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/364

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comme un gonflement intime ; si bien qu’il écarta les deux bras, en se renversant la tête.

Un gros nuage passait alors sur le ciel.

— Il va du côté de Paris, dit Louise ; vous voudriez le suivre, n’est-ce pas ?

— Moi ! pourquoi ?

— Qui sait ?

Et, le fouillant d’un regard aigu :

— Peut-être que vous avez là-bas… (elle chercha le mot) quelque affection.

— Eh ! je n’ai pas d’affection !

— Bien sûr ?

— Mais oui, mademoiselle, bien sûr !

En moins d’un an, il s’était fait dans la jeune fille une transformation extraordinaire qui étonnait Frédéric. Après une minute de silence, il ajouta :

— Nous devrions nous tutoyer, comme autrefois ; voulez-vous ?

— Non.

— Pourquoi ?

— Parce que !

Il insistait. Elle répondit, en baissant la tête :

— Je n’ose pas !

Ils étaient arrivés au bout du jardin, sur la grève du Livon. Frédéric, par gaminerie, se mit à faire des ricochets avec un caillou. Elle lui ordonna de s’asseoir. Il obéit ; puis, en regardant la chute d’eau :

— C’est comme le Niagara !

Il vint à parler des contrées lointaines et de grands voyages. L’idée d’en faire la charmait. Elle n’aurait eu peur de rien, ni des tempêtes, ni des lions.