Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/372

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qu’elle l’adorait plus que jamais. Le comédien, à l’en croire, se classait définitivement parmi « les sommités de l’époque ». Et ce n’était pas tel ou tel personnage qu’il représentait, mais le génie même de la France, le Peuple ! Il avait « l’âme humanitaire ; il comprenait le sacerdoce de l’Art » ! Frédéric, pour se délivrer de ces éloges, lui donna l’argent des trois places.

— Inutile que vous en parliez là-bas ! — Comme il est tard, mon Dieu ! Il faut que je vous quitte. Ah ! j’oubliais l’adresse : c’est rue Grange-Batelière, 14.

Et, sur le seuil :

— Adieu, homme aimé !

« Aimé de qui ? se demanda Frédéric. Quelle singulière personne ! »

Et il se ressouvint que Dussardier lui avait dit un jour, à propos d’elle : « Oh ! ce n’est pas grand’chose ! », comme faisant allusion à des histoires peu honorables.

Le lendemain, il se rendit chez la Maréchale. Elle habitait une maison neuve, dont les stores avançaient sur la rue. Il y avait à chaque palier une glace contre le mur, une jardinière rustique devant les fenêtres, tout le long des marches un tapis de toile ; et, quand on arrivait du dehors, la fraîcheur de l’escalier délassait.

Ce fut un domestique mâle qui vint ouvrir, un valet en gilet rouge. Dans l’antichambre, sur la banquette, une femme et deux hommes, des fournisseurs sans doute, attendaient, comme dans un vestibule de ministre. À gauche, la porte de la salle à manger, entre-bâillée, laissait apercevoir des bouteilles vides sur les buffets, des serviettes au