Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/403

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Alors, il y eut un grand silence. La pluie fine, qui avait mouillé l’asphalte, ne tombait plus. Des nuages s’en allaient, balayés mollement par le vent d’ouest.

Frédéric se mit à parcourir la rue Tronchet, en regardant devant lui et derrière lui.

Deux heures enfin sonnèrent.

« Ah ! c’est maintenant ! se dit-il, elle sort de sa maison, elle approche ; » et, une minute après : « Elle aurait eu le temps de venir. » Jusqu’à trois heures, il tâcha de se calmer. « Non, elle n’est pas en retard ; un peu de patience ! »

Et, par désœuvrement, il examinait les rares boutiques : un libraire, un sellier, un magasin de deuil. Bientôt il connut tous les noms des ouvrages, tous les harnais, toutes les étoffes. Les marchands, à force de le voir passer et repasser continuellement, furent étonnés d’abord, puis effrayés, et ils fermèrent leur devanture.

Sans doute, elle avait un empêchement, et elle en souffrait aussi. Mais quelle joie tout à l’heure ! Car elle allait venir, cela était certain ! « Elle me l’a bien promis ! » Cependant, une angoisse intolérable le gagnait.

Par un mouvement absurde, il rentra dans l’hôtel, comme si elle avait pu s’y trouver. À l’instant même, elle arrivait peut-être dans la rue. Il s’y jeta. Personne ? Et il se remit à battre le trottoir.

Il considérait les fentes des pavés, la gueule des gouttières, les candélabres, les numéros au-dessus des portes. Les objets les plus minimes devenaient pour lui des compagnons, ou plutôt des spectateurs ironiques ; et les façades régulières des maisons lui semblaient impitoyables. Il souf-