Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/410

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

lard et de belliqueux. Frédéric marchait toujours. L’agitation de la grande ville le rendait gai.

À la hauteur de Frascati, il aperçut les fenêtres de la Maréchale ; une idée folle lui vint, une réaction de jeunesse. Il traversa le boulevard.

On fermait la porte cochère ; et Delphine, la femme de chambre, en train d’écrire dessus avec un charbon « Armes données », lui dit vivement :

— Ah ! Madame est dans un bel état ! Elle a renvoyé ce matin son groom qui l’insultait. Elle croit qu’on va piller partout ! Elle crève de peur ! d’autant plus que Monsieur est parti !

— Quel monsieur ?

— Le Prince !

Frédéric entra dans le boudoir. La Maréchale parut, en jupon, les cheveux sur le dos, bouleversée.

— Ah ! merci ! tu viens me sauver ! c’est la seconde fois ! tu n’en demandes jamais le prix, toi !

— Mille pardons ! dit Frédéric, en lui saisissant la taille dans les deux mains.

— Comment ? que fais-tu ? balbutia la Maréchale, à la fois surprise et égayée par ces manières.

Il répondit :

— Je suis la mode, je me réforme.

Elle se laissa renverser sur le divan, et continuait à rire sous ses baisers.

Ils passèrent l’après-midi à regarder, de leur fenêtre, le peuple dans la rue. Puis il l’emmena dîner aux Trois-Frères-Provençaux. Le repas fut long, délicat. Ils s’en revinrent à pied, faute de voiture.

À la nouvelle d’un changement de ministère,