Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/420

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jusqu’à des albums de dessins, jusqu’à des corbeilles de tapisserie. Puisqu’on était victorieux, ne fallait-il pas s’amuser ! La canaille s’affubla ironiquement de dentelles et de cachemires. Des crépines d’or s’enroulèrent aux manches des blouses, des chapeaux à plumes d’autruche ornaient la tête des forgerons, des rubans de la Légion d’honneur firent des ceintures aux prostituées. Chacun satisfaisait son caprice ; les uns dansaient, d’autres buvaient. Dans la chambre de la reine, une femme lustrait ses bandeaux avec de la pommade ; derrière un paravent, deux amateurs jouaient aux cartes ; Hussonnet montra à Frédéric un individu qui fumait son brûle-gueule accoudé sur un balcon ; et le délire redoublait son tintamarre continu des porcelaines brisées et des morceaux de cristal qui sonnaient, en rebondissant, comme des lames d’harmonica.

Puis la fureur s’assombrit. Une curiosité obscène fit fouiller tous les cabinets, tous les recoins, ouvrir tous les tiroirs. Des galériens enfoncèrent leurs bras dans la couche des princesses, et se roulaient dessus par consolation de ne pouvoir les violer. D’autres, à figures plus sinistres, erraient silencieusement, cherchant à voler quelque chose ; mais la multitude était trop nombreuse. Par les baies des portes, on n’apercevait dans l’enfilade des appartements que la sombre masse du peuple entre les dorures, sous un nuage de poussière. Toutes les poitrines haletaient ; la chaleur de plus en plus devenait suffocante ; les deux amis, craignant d’être étouffés, sortirent.

Dans l’antichambre, debout sur un tas de vêtements, se tenait une fille publique, en statue de