Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/422

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couvertures des rideaux de pourpre ; et de petites bourgeoises du quartier leur apportaient des bouillons, du linge.

— N’importe ! dit Frédéric, moi, je trouve le peuple sublime.

Le grand vestibule était rempli par un tourbillon de gens furieux, des hommes voulaient monter aux étages supérieurs pour achever de détruire tout ; des gardes nationaux sur les marches s’efforçaient de les retenir. Le plus intrépide était un chasseur, nu-tête, la chevelure hérissée, les buffleteries en pièces. Sa chemise faisait un bourrelet entre son pantalon et son habit, et il se débattait au milieu des autres avec acharnement. Hussonnet, qui avait la vue perçante, reconnut de loin Arnoux.

Puis ils gagnèrent le jardin des Tuileries, pour respirer plus à l’aise. Ils s’assirent sur un banc ; et ils restèrent pendant quelques minutes les paupières closes, tellement étourdis, qu’ils n’avaient pas la force de parler. Les passants autour d’eux, s’abordaient. La duchesse d’Orléans était nommée régente ; tout était fini ; et on éprouvait cette sorte de bien-être qui suit les dénouements rapides, quand à chacune des mansardes du château, parurent des domestiques déchirant leurs habits de livrée. Ils les jetaient dans le jardin, en signe d’abjuration. Le peuple les hua. Ils se retirèrent.

L’attention de Frédéric et d’Hussonnet fut distraite par un grand gaillard qui marchait vivement entre les arbres, avec un fusil sur l’épaule. Une cartouchière lui serrait à la taille sa vareuse rouge, un mouchoir s’enroulait à son front sous