Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/424

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Il se retourna pour leur crier, tout en brandissant son fusil :

— Vive la République !

Des cheminées du château, il s’échappait d’énormes tourbillons de fumée noire, qui emportaient des étincelles. La sonnerie des cloches faisait, au loin, comme des bêlements effarés. De droite et de gauche, partout, les vainqueurs déchargeaient leurs armes. Frédéric, bien qu’il ne fût pas guerrier, sentit bondir son sang gaulois. Le magnétisme des foules enthousiastes l’avait pris. Il humait voluptueusement l’air orageux, plein des senteurs de la poudre ; et cependant il frissonnait sous les effluves d’un immense amour, d’un attendrissement suprême et universel, comme si le cœur de l’humanité tout entière avait battu dans sa poitrine.

Hussonnet dit, en bâillant :

— Il serait temps, peut-être, d’aller instruire les populations !

Frédéric le suivit à son bureau de correspondance place de la Bourse ; et il se mit à composer pour le Journal de Troyes un compte rendu des événements en style lyrique, un véritable morceau, qu’il signa. Puis ils dînèrent ensemble dans une taverne. Hussonnet était pensif ; les excentricités de la Révolution dépassaient les siennes.

Après le café, quand ils se rendirent à l’Hôtel de Ville, pour savoir du nouveau, son naturel gamin avait repris le dessus. Il escaladait les barricades, comme un chamois, et répondait aux sentinelles des gaudrioles patriotiques.

Ils entendirent, à la lueur des torches, procla-