Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pas tranquilles, pour faire son cours. Cet homme était une des gloires judiciaires du XIXe siècle, le rival des Zachariæ, des Ruhdorff. Sa dignité nouvelle de pair de France n’avait modifié en rien ses allures. On le savait pauvre, et un grand respect l’entourait.

Cependant, du fond de la place, quelques-uns crièrent :

— À bas Guizot !

— À bas Pritchard !11

— À bas les vendus !

— À bas Louis-Philippe !

La foule oscilla, et, se pressant contre la porte de la cour qui était fermée, elle empêchait le professeur d’aller plus loin. Il s’arrêta devant l’escalier. On l’aperçut bientôt sur la dernière des trois marches. Il parla ; un bourdonnement couvrit sa voix. Bien qu’on l’aimât tout à l’heure, on le haïssait maintenant, car il représentait l’Autorité. Chaque fois qu’il essayait de se faire entendre, les cris recommençaient. Il fit un grand geste pour engager les étudiants à le suivre. Une vocifération universelle lui répondit. Il haussa les épaules dédaigneusement et s’enfonça dans le couloir. Martinon avait profité de sa place pour disparaître en même temps.

— Quel lâche ! dit Frédéric.

— Il est prudent ! reprit l’autre.

La foule éclata en applaudissements. Cette retraite du professeur devenait une victoire pour elle. À toutes les fenêtres, des curieux regardaient. Quelques-uns entonnaient la Marseillaise ; d’autres proposaient d’aller chez Béranger12.

— Chez Laffite13 !