Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/459

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Rentré chez lui, Frédéric dormit jusqu’à sept heures. Ensuite, il s’en alla chez la Maréchale. Elle était sortie avec quelqu’un. Avec Arnoux, peut-être ? Ne sachant que faire, il continua sa promenade sur le boulevard, mais ne put dépasser la porte Saint-Martin, tant il y avait de monde.

La misère abandonnait à eux-mêmes un nombre considérable d’ouvriers ; et ils venaient là, tous les soirs, se passer en revue sans doute, et attendre un signal. Malgré la loi contre les attroupements109, ces clubs du désespoir augmentaient d’une manière effrayante, et beaucoup de bourgeois s’y rendaient quotidiennement, par bravade, par mode.

Tout à coup, Frédéric aperçut, à trois pas de distance, M. Dambreuse avec Martinon ; il tourna la tête, car M. Dambreuse s’étant fait nommer représentant, il lui gardait rancune. Mais le capitaliste l’arrêta.

— Un mot, cher monsieur ! J’ai des explications à vous fournir.

— Je n’en demande pas.

— De grâce ! écoutez-moi.

Ce n’était nullement sa faute. On l’avait prié, contraint en quelque sorte. Martinon, tout de suite, appuya ses paroles : des Nogentais en députation s’étaient présentés chez lui.

— D’ailleurs, j’ai cru être libre, du moment…

Une poussée de monde sur le trottoir força M. Dambreuse à s’écarter. Une minute après, il reparut, en disant à Martinon :

— C’est un vrai service, cela ! Vous n’aurez pas à vous repentir…

Tous les trois s’adossèrent contre une boutique, afin de causer plus à l’aise.