Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/477

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— Oui, dit-elle, plus que tu ne crois !… Jusqu’à vouloir en finir ; on m’a repêchée.

— Comment ?

— Ah ! n’y pensons plus !… Je t’aime, je suis heureuse ! embrasse-moi.

Et elle ôta, une à une, les brindilles de chardons accrochées dans le bas de sa robe.

Frédéric songeait surtout à ce qu’elle n’avait pas dit. Par quels degrés avait-elle pu sortir de la misère ? À quel amant devait-elle son éducation ? Que s’était-il passé dans sa vie jusqu’au jour où il était venu chez elle pour la première fois ? Son dernier aveu interdisait les questions. Il lui demanda, seulement, comment elle avait fait la connaissance d’Arnoux.

— Par la Vatnaz.

— N’était-ce pas toi que j’ai vue, une fois, au Palais-Royal, avec eux deux ?

Il cita la date précise. Rosanette fit un effort.

— Oui, c’est vrai !… Je n’étais pas gaie dans ce temps-là !

Mais Arnoux s’était montré excellent. Frédéric n’en doutait pas ; cependant, leur ami était un drôle d’homme, plein de défauts ; il eut soin de les rappeler. Elle en convenait.

— N’importe !… On l’aime tout de même, ce chameau-là !

— Encore, maintenant ? dit Frédéric.

Elle se mit à rougir, moitié riante, moitié fâchée.

— Eh ! non ! C’est de l’histoire ancienne. Je ne te cache rien. Quand même cela serait, lui, c’est différent ! D’ailleurs, je ne te trouve pas gentil pour ta victime.