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Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/492

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hasard. Cette audace offrait des dangers ; aussi Martinon, jusqu’à présent, s’était conduit de manière à ne pas se compromettre ; d’ailleurs, il ne savait comment se débarrasser de la tante. Le mot de Cisy le détermina ; et il avait fait sa requête au banquier, lequel, n’y voyant pas d’obstacle, venait d’en prévenir Mme Dambreuse.

Cisy parut. Elle se leva, dit :

— Vous nous oubliez… Cécile, shake hands !

Au même moment, Frédéric entrait.

— Ah ! enfin ! on vous retrouve ! s’écria le père Roque. J’ai été trois fois chez vous, avec Louise, cette semaine !

Frédéric les avait soigneusement évités. Il allégua qu’il passait tous ses jours près d’un camarade blessé. Depuis longtemps, du reste, un tas de choses l’avaient pris ; et il cherchait des histoires. Heureusement, les convives arrivèrent : d’abord M. Paul de Grémonville, le diplomate entrevu au bal ; puis Fumichon, cet industriel dont le dévouement conservateur l’avait un soir scandalisé ; la vieille duchesse de Montreuil-Nantua les suivait.

Mais deux voix s’élevèrent dans l’antichambre.

— J’en suis certaine, disait l’une.

— Chère belle dame ! chère belle dame ! répondait l’autre, de grâce, calmez-vous !

C’était M. de Nonancourt, un vieux beau, l’air momifié dans du cold-cream, et Mme de Larsillois, l’épouse d’un préfet de Louis-Philippe. Elle tremblait extrêmement, car elle avait entendu, tout à l’heure, sur un orgue, une polka qui était un signal entre les insurgés. Beaucoup de bourgeois avaient des imaginations pareilles ; on croyait que