Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/518

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— Ma vie est si triste.

— Et la mienne !… S’il n’y avait que les chagrins, les inquiétudes, les humiliations, tout ce que j’endure comme épouse et comme mère, puisqu’on doit mourir, je ne me plaindrais pas ; ce qu’il y a d’affreux, c’est ma solitude, sans personne…

— Mais je suis là, moi !

— Oh ! oui !

Un sanglot de tendresse l’avait soulevée. Ses bras s’écartèrent ; et ils s’étreignirent debout, dans un long baiser.

Un craquement se fit sur le parquet. Une femme était près d’eux, Rosanette. Mme Arnoux l’avait reconnue ; ses yeux, ouverts démesurément, l’examinaient, tout pleins de surprise et d’indignation. Enfin, Rosanette lui dit :

— Je viens parler à M. Arnoux, pour affaires.

— Il n’y est pas, vous le voyez.

— Ah ! c’est vrai ! reprit la Maréchale, votre bonne avait raison ! Mille excuses !

Et, se tournant vers Frédéric :

— Te voilà ici, toi ?

Ce tutoiement, donné devant elle, fit rougir Mme Arnoux, comme un soufflet en plein visage.

— Il n’y est pas, je vous le répète !

Alors, la Maréchale, qui regardait çà et là, dit tranquillement :

— Rentrons-nous ? J’ai un fiacre en bas.

Il faisait semblant de ne pas entendre.

— Allons, viens !

— Ah ! oui ! c’est une occasion ! Partez ! partez ! dit Mme Arnoux.

Ils sortirent. Elle se pencha sur la rampe pour