Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/600

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elle n’osa le regarder en face jusque dans la rue, où l’attendait sa voiture.

Elle s’y jeta comme un voleur qui s’échappe, et, quand elle fut assise, se retourna vers Frédéric. Il avait son chapeau à la main.

— Vous ne montez pas ?

— Non, madame !

Et, la saluant froidement, il ferma la portière, puis fit signe au cocher de partir.

Il éprouva d’abord un sentiment de joie et d’indépendance reconquise. Il était fier d’avoir vengé Mme  Arnoux en lui sacrifiant une fortune ; puis il fut étonné de son action, et une courbature infinie l’accabla.

Le lendemain matin, son domestique lui apprit les nouvelles. L’état de siège était décrété, l’Assemblée dissoute, et une partie des représentants du peuple à Mazas. Les affaires publiques le laissèrent indifférent, tant il était préoccupé des siennes.

Il écrivit à des fournisseurs pour décommander plusieurs emplettes relatives à son mariage, qui lui apparaissait maintenant comme une spéculation un peu ignoble ; et il exécrait Mme  Dambreuse parce qu’il avait manqué, à cause d’elle, commettre une bassesse. Il en oubliait la Maréchale, ne s’inquiétait même pas de Mme  Arnoux, ne songeant qu’à lui, à lui seul, perdu dans les décombres de ses rêves, malade, plein de douleur et de découragement ; et, en haine du milieu factice où il avait tant souffert, il souhaita la fraîcheur de l’herbe, le repos de la province, une vie somnolente passée à l’ombre du toit natal avec des cœurs ingénus. Le mercredi soir enfin, il sortit.