Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/602

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de Sourdun, il l’aperçut sous les peupliers comme autrefois, coupant des joncs au bord des flaques d’eau ; on arrivait ; il descendit.

Puis il s’accouda sur le pont, pour revoir l’île et le jardin où ils s’étaient promenés un jour de soleil ; et l’étourdissement du voyage et du grand air, la faiblesse qu’il gardait de ses émotions récentes, lui causant une sorte d’exaltation, il se dit :

« Elle est peut-être sortie ; si j’allais la rencontrer ! »

La cloche de Saint-Laurent tintait ; et il y avait sur la place, devant l’église, un rassemblement de pauvres, avec une calèche, la seule du pays (celle qui servait pour les noces), quand, sous le portail, tout à coup, dans un flot de bourgeois en cravate blanche, deux nouveaux mariés parurent.

Il se crut halluciné. Mais non ! C’était bien elle, Louise ! couverte d’un voile blanc qui tombait de ses cheveux rouges à ses talons ; et c’était bien lui, Deslauriers ! portant un habit bleu brodé d’argent, un costume de préfet. Pourquoi donc ?

Frédéric se cacha dans l’angle d’une maison, pour laisser passer le cortège.

Honteux, vaincu, écrasé, il retourna vers le chemin de fer, et s’en revint à Paris.

Son cocher de fiacre assura que les barricades étaient dressées depuis le Château-d’Eau jusqu’au Gymnase, et prit par le faubourg Saint-Martin. Au coin de la rue de Provence, Frédéric mit pied à terre pour gagner les boulevards.

Il était cinq heures, une pluie fine tombait. Des bourgeois occupaient le trottoir du côté de l’Opéra. Les maisons d’en face étaient closes. Personne