Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/605

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Dans la pénombre du crépuscule, il n’apercevait que ses yeux sous la voilette de dentelle noire qui masquait sa figure.

Quand elle eut déposé au bord de la cheminée un petit portefeuille de velours grenat, elle s’assit. Tous deux restèrent sans pouvoir parler, se souriant l’un à l’autre.

Enfin, il lui adressa quantité de questions sur elle et son mari.

Ils habitaient le fond de la Bretagne, pour vivre économiquement et payer leurs dettes. Arnoux, presque toujours malade, semblait un vieillard maintenant. Sa fille était mariée à Bordeaux, et son fils en garnison à Mostaganem. Puis elle releva la tête :

— Mais je vous revois ! Je suis heureuse !

Il ne manqua pas de lui dire qu’à la nouvelle de leur catastrophe, il était accouru chez eux.

— Je le savais !

— Comment ?

Elle l’avait aperçu dans la cour, et s’était cachée.

— Pourquoi ?

Alors, d’une voix tremblante, et avec de longs intervalles entre ses mots :

— J’avais peur ! Oui… peur de vous… de moi !

Cette révélation lui donna comme un saisissement de volupté. Son cœur battait à grands coups. Elle reprit :

— Excusez-moi de n’être pas venue plus tôt.

Et désignant le petit portefeuille grenat couvert de palmes d’or :

— Je l’ai brodé à votre intention, tout exprès.