Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/71

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

florentine, lui révéla des chefs-d’œuvre, lui ouvrit des horizons, et il eut du mal à contenir son enthousiasme quand Pellerin s’écria :

— Laissez-moi tranquille avec votre hideuse réalité ! Qu’est-ce que cela veut dire, la réalité ? Les uns voient noir, d’autres bleu, la multitude voit bête. Rien de moins naturel que Michel-Ange, rien de plus fort ! Le souci de la vérité extérieure dénote la bassesse contemporaine ; et l’art deviendra, si l’on continue, je ne sais quelle rocambole au-dessous de la religion comme poésie, et de la politique comme intérêt. Vous n’arriverez pas à son but, — oui, son but ! — qui est de nous causer une exaltation impersonnelle, avec de petites œuvres, malgré toutes vos finasseries d’exécution. Voilà les tableaux de Bassolier, par exemple : c’est joli, coquet, propret, et pas lourd ! Ça peut se mettre dans la poche, se prendre en voyage ! Les notaires achètent ça vingt mille francs, il y a pour trois sous d’idées ; mais, sans l’idée, rien de grand ! sans grandeur, pas de beau ! L’Olympe est une montagne ! Le plus crâne monument, ce sera toujours les Pyramides. Mieux vaut l’exubérance que le goût, le désert qu’un trottoir, et un sauvage qu’un coiffeur !

Frédéric, en écoutant ces choses, regardait Mme Arnoux. Elles tombaient dans son esprit comme des métaux dans une fournaise, s’ajoutaient à sa passion et faisaient de l’amour.

Il était assis trois places au-dessous d’elle, sur le même côté. De temps à autre, elle se penchait un peu, en tournant la tête pour adresser quelques mots à sa petite fille ; et, comme elle souriait alors, une fossette se creusait dans sa joue, ce