Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/78

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— Comment ?

— Non ! monsieur, vous n’avez pas le droit de m’intéresser à des choses que je réprouve ! Qu’avons-nous besoin de laborieuses bagatelles, dont il est impossible de tirer aucun profit, de ces Vénus, par exemple, avec tous vos paysages ? Je ne vois pas là d’enseignement pour le peuple ! Montrez-nous ses misères, plutôt ! enthousiasmez-nous pour ses sacrifices ! Eh ! bon Dieu, les sujets ne manquent pas : la ferme, l’atelier…

Pellerin en balbutiait d’indignation, et, croyant avoir trouvé un argument :

— Molière, l’acceptez-vous ?

— Soit ! dit Sénécal. Je l’admire comme précurseur de la Révolution française.

— Ah ! la Révolution ! Quel art ! Jamais il n’y a eu d’époque plus pitoyable !

— Pas de plus grande, monsieur !

Pellerin se croisa les bras, et, le regardant en face :

— Vous m’avez l’air d’un fameux garde national !

Son antagoniste, habitué aux discussions, répondit :

— Je n’en suis pas ! et je la déteste autant que vous. Mais, avec des principes pareils, on corrompt les foules ! Ça fait le compte du Gouvernement, du reste ; il ne serait pas si fort sans la complicité d’un tas de farceurs comme celui-là.

Le peintre prit la défense du marchand, car les opinions de Sénécal l’exaspéraient. Il osa même soutenir que Jacques Arnoux était un véritable cœur d’or, dévoué à ses amis, chérissant sa femme.