Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale éd. Conard.djvu/82

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les bibelots de l’étagère, le long des torses où la poussière amassée faisait comme des lambeaux de velours ; et, tel qu’un voyageur perdu au milieu d’un bois et que tous les chemins ramènent à la même place, continuellement il retrouvait au fond de chaque idée le souvenir de Mme  Arnoux.

Il se fixait des jours pour aller chez elle ; arrivé au second étage, devant sa porte, il hésitait à sonner. Des pas se rapprochaient ; on ouvrait, et, à ces mots : « Madame est sortie », c’était une délivrance, et comme un fardeau de moins sur son cœur.

Il la rencontra, pourtant. La première fois, il y avait trois dames avec elle ; une autre après-midi, le maître d’écriture de Mlle  Marthe survint. D’ailleurs, les hommes que recevait Mme  Arnoux ne lui faisaient point de visites. Il n’y retourna plus, par discrétion.

Mais il ne manquait pas, pour qu’on l’invitât aux dîners du jeudi, de se présenter à l’Art industriel, chaque mercredi, régulièrement ; et il y restait après tous les autres, plus longtemps que Regimbart, jusqu’à la dernière minute, en feignant de regarder une gravure, de parcourir un journal. Enfin Arnoux lui disait : « Êtes-vous libre, demain soir ? » Il acceptait avant que la phrase fût achevée. Arnoux semblait le prendre en affection. Il lui montra l’art de reconnaître les vins, à brûler le punch, à faire des salmis de bécasses ; Frédéric suivait docilement ses conseils, aimant tout ce qui dépendait de Mme  Arnoux, ses meubles, ses domestiques, sa maison, sa rue.

Il ne parlait guère pendant ces dîners ; il la contemplait. Elle avait à droite, contre la tempe,