Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/142

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Ah ! ça se trouve bien ! Vous verrez là de ses amis venez donc ! ce sera drôle ! »

Frédéric s’excusait, Mme Arnoux reconnut sa voix et lui souhaita le bonjour à travers la cloison, car sa fille était indisposée, elle-même souffrante ; et l’on entendait le bruit d’une cuiller contre un verre, et tout ce frémissement de choses délicatement remuées qui se fait dans la chambre d’un malade. Puis Arnoux disparut pour dire adieu à sa femme. Il entassait les raisons :

— « Tu sais bien que c’est sérieux. Il faut que j’y aille, j’y ai besoin, on m’attend. »

— « Va, va, mon ami. Amuse-toi ! »

Arnoux héla un fiacre.

— « Palais-Royal ! galerie Montpensier. »

Et, se laissant tomber sur les coussins :

— « Ah ! comme je suis las, mon cher ! j’en crèverai. Du reste, je peux bien vous le dire, à vous. »

Il se pencha vers son oreille, mystérieusement :

— « Je cherche à retrouver le rouge de cuivre des Chinois. »

Et il expliqua ce qu’étaient la couverte et le petit feu.

Arrivé chez Chevet, on lui remit une grande corbeille, qu’il fit porter sur le fiacre. Puis il choisit pour « sa pauvre femme » du raisin, des ananas, différentes curiosités de bouche et recommanda qu’elles fussent envoyées de bonne heure, le lendemain.

Ils allèrent ensuite chez un costumier ; c’était d’un bal qu’il s’agissait. Arnoux prit une culotte de velours bleu, une veste pareille, une perruque rouge ; Frédéric un domino ; et ils descendirent rue de Laval, devant une maison illuminée au second étage par des lanternes de couleur.

Dès le bas de l’escalier, on entendait le bruit des violons.

— « Où diable me menez-vous ? » dit Frédéric.

— « Chez une bonne fille ! n’ayez pas peur ! »