Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/168

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mensonge et dit qu’il espérait parvenir au conseil d’État, grâce à M. Dambreuse, le député.

— « Vous le connaissez peut-être ? »

— « De nom, seulement. »

Puis, d’une voix basse :

— « Il vous a mené au bal, l’autre jour, n’est-ce pas ? » Frédéric se taisait.

— « C’est ce que je voulais savoir, merci. »

Ensuite, elle lui fit deux ou trois questions discrètes sur sa famille et sa province. C’était bien aimable, d’être resté là-bas si longtemps, sans les oublier.

— « Mais…, le pouvais-je ? » reprit-il. « En doutiez-vous ? »

Mme Arnoux se leva.

— « Je crois que vous nous portez une bonne et solide affection. — Adieu,… au revoir ! »

Et elle tendit sa main d’une manière franche et virile. N’était-ce pas un engagement, une promesse ? Frédéric se sentait tout joyeux de vivre ; il se retenait pour ne pas chanter, il avait besoin de se répandre, de faire des générosités et des aumônes. Il regarda autour de lui s’il n’y avait personne à secourir. Aucun misérable ne passait ; et sa velléité de dévouement s’évanouit, car il n’était pas homme à en chercher au loin les occasions.

Puis il se ressouvint de ses amis. Le premier auquel il songea fut Hussonnet, le second Pellerin. La position infime de Dussardier commandait naturellement des égards ; quant à Cisy, il se réjouissait de lui faire voir un peu sa fortune. Il écrivit donc à tous les quatre de venir pendre la crémaillère le dimanche suivant, à onze heures juste, et il chargea Deslauriers d’amener Sénécal.

Le répétiteur avait été congédié de son troisième pensionnat pour n’avoir point voulu de distribution de prix, usage qu’il regardait comme funeste à l’égalité. Il