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L'ÉDUCATION SENTIMENTALE

breuse, qui venait d’acquérir le domaine de la Fortelle. Mais le Percepteur avait entraîné Frédéric à l’écart, pour savoir ce qu’il pensait du dernier ouvrage de M. Guizot. Tous désiraient connaître ses affaires ; et Mme Benoît s’y prit adroitement en s’informant de son oncle. Comment allait ce bon parent ? Il ne donnait plus de ses nouvelles. N’avait-il pas un arrière-cousin en Amérique ?

La cuisinière annonça que le potage de Monsieur était servi. On se retira, par discrétion. Puis, dès qu’ils furent seuls, dans la salle, sa mère lui dit, à voix basse :

— « Eh bien ? »

Le vieillard l’avait reçu très cordialement, mais sans montrer ses intentions.

Mme Moreau soupira.

— « Où est-elle, à présent ? » songeait-il.

La diligence roulait, et, enveloppée dans le châle sans doute, elle appuyait contre le drap du coupé sa belle tête endormie.

Ils montaient dans leurs chambres quand un garçon du Cygne de la Croix apporta un billet.

— « Qu’est-ce donc ? »

— « C’est Deslauriers qui a besoin de moi, » dit-il.

— « Ah ! ton camarade ! » fit Mme Moreau avec un ricanement de mépris. « L’heure est bien choisie, vraiment ! »

Frédéric hésitait. Mais l’amitié fut plus forte. Il prit son chapeau.

— « Au moins, ne sois pas longtemps ! » lui dit sa mère.