Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/180

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voyait autrefois boulevard Montmartre ornait à présent la salle à manger de Rosanette, l’autre, le salon de Mme Arnoux. Dans les deux maisons, les services de table étaient pareils, et l’on retrouvait jusqu’à la même calotte de velours traînant sur les bergères ; puis une foule de petits cadeaux, des écrans, des boîtes, des éventails allaient et venaient de chez la maîtresse chez l’épouse, car, sans la moindre gêne, Arnoux, souvent, reprenait à l’une ce qu’il lui avait donné, pour l’offrir à l’autre.

La Maréchale riait avec Frédéric de ses mauvaises façons. Un dimanche, après dîner, elle l’emmena derrière la porte, et lui fit voir dans son paletot un sac de gâteaux, qu’il venait d’escamoter sur la table, afin d’en régaler, sans doute, sa petite famille. M. Arnoux se livrait à des espiègleries côtoyant la turpitude. C’était pour lui un devoir que de frauder l’octroi ; il n’allait jamais au spectacle en payant, avec un billet de secondes prétendait toujours se pousser aux premières, et racontait comme une farce excellente qu’il avait coutume, aux bains froids, de mettre dans le tronc du garçon un bouton de culotte pour une pièce de dix sous, ce qui n’empêchait point la Maréchale de l’aimer.

Un jour, cependant, elle dit, en parlant de lui — « Ah ! il m’embête, à la fin ! J’en ai assez ! Ma foi, tant pis, j’en trouverai un autre ! »

Frédéric croyait « l’autre » déjà trouvé et qu’il s’appelait M. Oudry.

— « Eh bien », dit Rosanette, « qu’est-ce que cela fait ? »

Puis, avec des larmes dans la voix :

— « Je lui demande bien peu de chose, pourtant, et il ne veut pas, l’animal ! Il ne veut pas ! Quant à ses promesses, oh ! c’est différent. »

Il lui avait même promis un quart de ses bénéfices dans les fameuses mines de kaolin ; aucun bénéfice ne