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Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/206

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la main, prit le coffret d’argent sur la cheminée, et lui tendit une facture grande ouverte.

Arnoux rougit jusqu’aux oreilles et ses traits décomposés s’enflèrent.

— « Eh bien ? »

— « Mais… » répondit-il, lentement, « qu’est-ce que ça prouve ? »

— « Ah » fit-elle, avec une intonation de voix singulière, où il y avait de la douleur et de l’ironie. « Ah ! »

Arnoux gardait la note entre ses mains, et la retournait, n’en détachant pas les yeux comme s’il avait dû y découvrir la solution d’un grand problème.

— « Oh ! oui, oui, je me rappelle », dit-il enfin. « C’est une commission. — Vous devez savoir cela, vous. Frédéric ? » Frédéric se taisait. « Une commission dont j’étais chargé… par… par le père Oudry. »

— « Et pour qui ? »

— « Pour sa maîtresse. »

— « Pour la vôtre ! » s’écria Mme Arnoux, se levant toute droite.

— « Je te jure… »

— « Ne recommencez pas ! Je sais tout ! »

— « Ah ! très bien ! Ainsi, on m’espionne ! »

Elle répliqua froidement :

— « Cela blesse, peut-être, votre délicatesse ? »

— « Du moment qu’on s’emporte », reprit Arnoux, en cherchant son chapeau, « et qu’il n’y a pas moyen de raisonner »

Puis, avec un grand soupir :

— « Ne vous mariez pas, mon pauvre ami, non, croyez-moi ! »

Et il décampa, ayant besoin de prendre l’air.

Alors, il se fit un grand silence ; et tout, dans l’appartement, sembla plus immobile. Un cercle lumineux, au-dessus de la carcel, blanchissait le plafond, tandis que, dans les coins, l’ombre s’étendait comme des