abattu, lui paraissait maintenant d’une hauteur extraordinaire. Il s’estimait volé, comme s’il avait subi un grand dommage. Son amitié pour Frédéric était morte, et il en éprouvait de la joie ; c’était une compensation ! Une haine l’envahit contre les riches. Il pencha vers les opinions de Sénécal et se promettait de les servir.
Arnoux, pendant ce temps-là, commodément assis dans une bergère, auprès du feu, humait sa tasse de thé, en tenant la Maréchale sur ses genoux.
Frédéric ne retourna point chez eux ; et, pour se distraire de sa passion calamiteuse, adoptant le premier sujet qui se présenta, il résolut de composer une Histoire de la Renaissance. Il entassa pêle-mêle sur sa table les humanistes, les philosophes et les poètes ; il allait au cabinet des estampes, voir les gravures de Marc-Antoine ; il tâchait d’entendre Machiavel. Peu à peu, la sérénité du travail l’apaisa. En plongeant dans la personnalité des autres, il oublia la sienne, ce qui est la seule manière peut-être de n’en pas souffrir.
Un jour qu’il prenait des notes, tranquillement, la porte s’ouvrit et le domestique annonça Mme Arnoux.
C’était bien elle ! seule ? Mais non ! car elle tenait par la main le petit Eugène, suivi de sa bonne en tablier blanc. Elle s’assit ; et, quand elle eut toussé :
— « Il y a longtemps que vous n’êtes venu à la maison. »
Frédéric ne trouvant pas d’excuse, elle ajouta :
— « C’est une délicatesse de votre part ! »
Il reprit :
— « Quelle délicatesse ? »
— « Ce que vous avez fait pour Arnoux ! » dit-elle.
Frédéric eut un geste signifiant :
— « Je m’en moque bien c’était pour vous ! »
Elle envoya son enfant jouer avec la bonne, dans le salon. Ils échangèrent deux ou trois mots sur leur santé, puis l’entretien tomba.