Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/264

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garçon, la serviette sous le bras, attendait son argent, quand un autre, un individu blafard qui ressemblait à Martinon, vint lui dire :

— « Faites excuse, on a oublié au comptoir de porter le fiacre. »

— « Quel fiacre ? »

— « Celui que ce monsieur a pris tantôt, pour les petits chiens. »

Et la figure du garçon s’allongea, comme s’il eût plaint le pauvre jeune homme. Frédéric eut envie de le gifler.

Il donna de pourboire les vingt francs qu’on lui rendait.

— « Merci, Monseigneur ! » dit l’homme à la serviette, avec un grand salut.

Frédéric passa la journée du lendemain à ruminer sa colère et son humiliation. Il se reprochait de n’avoir pas souffleté Cisy. Quant à la Maréchale, il se jura de ne plus la revoir ; d’autres aussi belles ne manquaient pas ; et, puisqu’il fallait de l’argent pour posséder ces femmes-là, il jouerait à la Bourse le prix de sa ferme, il serait riche, il écraserait de son luxe la Maréchale et tout le monde. Le soir venu, il s’étonna de n’avoir pas songé à Mme Arnoux.

— « Tant mieux ! à quoi bon ? »

Le surlendemain, dès huit heures, Pellerin vint lui faire visite. Il commença par des admirations sur le mobilier, des cajoleries. Puis, brusquement :

— « Vous étiez aux courses, dimanche ? »

— « Oui, hélas ! »

Alors, le peintre déclama contre l’anatomie des chevaux anglais, vanta les chevaux de Géricault, les chevaux du Parthénon. « Rosanette était avec vous ? » Et il entama son éloge, adroitement.

La froideur de Frédéric le décontenança. Il ne savait comment en venir au portrait.

Sa première intention avait été de faire un Titien. Mais, peu à peu, la coloration variée de son modèle