Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/266

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En effet, c’est à elle. »

— « Comment ! c’est elle qui m’envoie vers vous ! » répliqua Pellerin.

S’il eût cru à l’excellence de son œuvre, il n’eût pas songé, peut-être, à l’exploiter. Mais une somme (et une somme considérable) serait un démenti à la critique, un raffermissement pour lui-même. Frédéric, afin de s’en délivrer, s’enquit de ses conditions, courtoisement.

L’extravagance du chiffre le révolta, il répondit :

— « Non, ah ! non ! »

— « Vous êtes pourtant son amant, c’est vous qui m’avez fait la commande ! »

— « J’ai été l’intermédiaire, permettez ! »

— « Mais je ne peux pas rester avec ça sur les bras ! »

L’artiste s’emportait.

— « Ah ! je ne vous croyais pas si cupide. »

— « Ni vous si avare ! Serviteur ! »

Il venait de partir que Sénécal se présenta.

Frédéric, troublé, eut un mouvement d’inquiétude.

— « Qu’y a-t-il ? »

Sénécal conta son histoire.

— « Samedi, vers neuf heures, Mme Arnoux a reçu une lettre qui l’appelait à Paris ; comme personne, par hasard, ne se trouvait là pour aller à Creil chercher une voiture, elle avait envie de m’y faire aller moi-même. J’ai refusé, car ça ne rentre pas dans mes fonctions. Elle est partie, et revenue dimanche soir. Hier matin, Arnoux tombe à la fabrique. La Bordelaise s’est plainte. Je ne sais pas ce qui se passe entre eux, mais il a levé son amende devant tout le monde. Nous avons échangé des paroles vives. Bref, il m’a donné mon compte, et me voilà ! »

Puis, détachant ses paroles :

— « Au reste, je ne me repens pas, j’ai fait mon devoir. N’importe, c’est à cause de vous. »

— « Comment ? » S’écria Frédéric, ayant peur que Sénécal ne l’eût deviné.