Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/295

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même en vertu de ce droit-là qu’on avait proclamé la déchéance de Napoléon ; il avait été reconnu en 1830, inscrit en tête de la Charte.

— « D’ailleurs, quand le souverain manque au contrat, la justice veut qu’on le renverse. »

— « Mais c’est abominable ! » exclama la femme d’un préfet.

Toutes les autres se taisaient, vaguement épouvantées, comme si elles eussent entendu le bruit des balles. Mme Dambreuse se balançait dans son fauteuil, et l’écoutait parler en souriant.

Un industriel, ancien carbonaro tâcha de lui démontrer que les d’Orléans étaient une belle famille sans doute, il y avait des abus…

— « Eh bien, alors ? »

— « Mais on ne doit pas les dire, cher monsieur ! Si vous saviez comme toutes ces criailleries de l’opposition nuisent aux affaires ! »

— « Je me moque des affaires ! » reprit Frédéric.

La pourriture de ces vieux l’exaspérait ; et, emporté par la bravoure qui saisit quelquefois les plus timides, il attaqua les financiers, les députés, le Gouvernement, le Roi, prit la défense des Arabes, débitait beaucoup de sottises. Quelques-uns l’encourageaient ironiquement : « Allez donc ! continuez ! » tandis que d’autres murmuraient : « Diable ! quelle exaltation ! » Enfin, il jugea convenable de se retirer ; et, comme il s’en allait, M. Dambreuse lui dit, faisant allusion à la place de secrétaire :

— « Rien n’est terminé encore ! Mais dépêchez-vous ! » Et Mme Dambreuse :

— « À bientôt, n’est-ce pas ? »

Frédéric jugea leur adieu une dernière moquerie. Il était déterminé à ne jamais revenir dans cette maison, à ne plus fréquenter tous ces gens-là. Il croyait les avoir blessés, ne sachant pas quel large fonds d’indiffé-