Page:Flaubert - L’Éducation sentimentale (1891).djvu/306

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— « Qu’est-ce donc que vous faites ? »

Il fut embarrassé de la question, puis dit qu’il étudiait la politique.

— « Ah ! »

Et, sans en demander davantage :

— « Cela vous occupe, mais moi !… »

Alors, elle lui conta l’aridité de son existence, n’ayant personne à voir, pas le moindre plaisir, la moindre distraction ! Elle désirait monter à cheval.

— « Le Vicaire prétend que c’est inconvenant pour une jeune fille ; est-ce bête, les convenances ! Autrefois, on me laissait faire tout ce que je voulais ; à présent, rien ! »

— « Votre père vous aime, pourtant ! »

— « Oui ; mais… »

Et elle poussa un soupir, qui signifiait : « Cela ne suffit pas à mon bonheur. »

Puis, il y eut un silence. Ils n’entendaient que le craquement du sable sous leurs pieds avec le murmure de la chute d’eau ; car la Seine, au-dessus de Nogent, est coupée en deux bras. Celui qui fait tourner les moulins dégorge en cet endroit la surabondance de ses ondes, pour rejoindre plus bas le cours naturel du fleuve ; et, lorsqu’on vient des ponts, on aperçoit, à droite sur l’autre berge, un talus de gazon que domine une maison blanche. À gauche, dans la prairie, des peupliers s’étendent, et l’horizon, en face, est borné par une courbe de la rivière ; elle était plate comme un miroir ; de grands insectes patinaient sur l’eau tranquille. Des touffes de roseaux et des joncs la bordent inégalement ; toutes sortes de plantes venues là s’épanouissaient en boutons d’or, laissaient pendre des grappes jaunes, dressaient des quenouilles de fleurs amarantes, faisaient au hasard des fusées vertes. Dans une anse du rivage, des nymphéas s’étalaient ; et un rang de vieux saules cachant des pièges à loup était, de ce côté de l’île, toute la défense du jardin.